L'EXPOSITION
des pratiques se montrent
Comme
l’ensemble de la rencontre, l’exposition est le fruit de la volonté
de Ségolène Royal, relayée par un comité de
pilotage au sein duquel des influences diverses se sont exercées.
Une consigne forte a été donnée : repérer les
innovations et les donner A voir dans une perspective de généralisation.
Une lettre de commande a été adressée A toutes
les écoles et A tous les collèges. Il était
demandé aux équipes de décrire leurs pratiques les
plus innovantes A partir d’une grille suffisamment imprécise
pour n’écarter personne. Pour le coup, le risque était réel
de faire remonter des documents peu probants.
Le déambulatoire
de la Cité des Congrès de Nantes se prêtait bien A
ce genre de présentation et le savoir-faire des techniciens
chargés de la mise en scène des témoignages a été
irréprochable. Résultat : une expo réussie.
Il faut dire qu’on n’a pas lésiné sur les moyens… Dans les
dossiers remis A chaque participant, deux documents concernent les
témoignages :
w l’un énumère le «millier d’écoles et de collèges,
des zones rurales et urbaines, centre ville et périphérie,
impliqués dans des actions pour la maîtrise de la lecture
et des langages (qui) ont fait l’objet de témoignages collectés
pour les Etats Généraux de Nantes les 4 et 5 mai 1999» mais on ne sait rien d’autre sur le contenu des fiches
w l’autre présente ceux qui ont été sélectionnés
pour figurer dans l’exposition mais on ne sait pas davantage quels ont
été les critères du choix et surtout qui l’a effectué.
Une question se pose : le
comité de pilotage envisage-t-il de se livrer A une étude
qualitative de l’ensemble des offres et des réponses données
? Gros travail, certes, mais qui serait hautement instructif sur la nature
des pratiques les plus innovantes conduites au sein des établissements
les plus engagés. Il donnerait d’utiles indications sur un point
: assiste-t-on A un effet de modélisation ? Sommes-nous,
au contraire, en présence d’un véritable foisonnement
qui laisserait augurer d’une forte capacité d’invention ?
Un élan certain a
été suscité et a mis en mouvement des équipes
de circonscription, de collèges, d’écoles … Preuve est ainsi
administrée que le «système» n’est pas inerte.
Des ressources sont mobilisables. Pour autant, si on en croit la rumeur,
la frustration a été assez importante. Les témoignages
les plus favorables parlent de doux désordre, les autres y voient
la trace de mauvaises intentions. Des offres validées au niveau
local n’ont pas été retenues au niveau national. Inversement,
des offres envoyées directement ont été acceptées
malgré l’opposition des instances locales. Des inspecteurs, des
principaux de collège, des représentants de groupe académique
«maîtrise de la langue» y ont vu la marque du désaveu
de leur action.
Au total 157 témoignages
ont été retenus. De quelle réalité sont-elles
le reflet ?
Trois hypothèses
:
w
on a choisi un panel de témoignages (alors les stands seraient représentatifs
du millier de témoignages parvenus)
w
on a choisi ce qui méritait d’être mis en valeur (alors les
stands seraient le palmarès de l’innovation)
w
on a choisi de répartir en 11 «villages» pré-définis
les témoignages (alors certains témoignages auraient été
écartés parce que n’entrant pas dans les catégories
décidées et d’autres seraient sur-représentés)
Impossible de dire laquelle
l’a emporté ! Peut-être même les choix effectués
ne résultent-ils probablement pas d’une politique implicitement
définie… Il n’empêche : ce qui frappe l’observateur, c’est
l’homogénéité de ce qui est mis en évidence.
On s’attendait, en effet, A davantage de diversité.
Des militants de l’AFL ont,
comme d’autres collègues, présenté leurs travaux.
Ils ne l’ont pas fait en fonction de leur appartenance A une association
mais en réponse A la commande. Il n’est donc pas question
de développer ici une attitude qui laisserait penser qu’un tri a
été effectué A raison de l’engagement militant.
Raison de plus pour comparer ce qui a été retenu A
ce qui ne l’a pas été.
Soit deux offres issues
des travaux de l’AFL: l’une décrit, dans le détail, le dispositif
des classes-lecture autour des deux idées centrales familières
A ceux qui ont suivi l’histoire de Bessèges (pédagogie
du projet et co-formation des adultes), l’autre, intitulée
La remédiation-lecture au collège décrit
le module d’entraînement autour d’ELSA proposé au sein d’un
collège. Seule la deuxième a été retenue. Simple
hasard ? Risquons une interprétation : par ce choix
est signifié l’engagement en faveur d’une politique du « tout
remédiation » qui privilégie les aspects techniciens
du problème. Ce ne serait pas la première fois que l’apport
de l’AFL aurait été ramené A cette dimension.
ELMO hier, ELSA aujourd’hui, les BCD, les classes-lecture, toutes ces innovations
ont été « reçues » de ce point de vue
lA.
Pour mieux comprendre la
nature des réponses retenues, il convient de procéder A
une présentation,
même rapide, des 11 « villages », des 79 stands
et des 157 ateliers
1 - langages et cultures
:
Sept des huit stands présentés
sous ce label ont une même caractéristique : l’ouverture culturelle.
Ils portent A la fois sur l’écriture et sur un ou plusieurs
arts : musique, opéra, théâtre, ou danse. Ils ont en
commun un objectif de production et sont tantôt le fait d’une classe
tantôt celui d’un groupe de classes voire même d’une circonscription
entière. Les conditions de réalisation ne sont pas indiquées
ou font l’objet de brèves notations. On décrit plutôt
les objectifs, notamment les apprentissages scolaires qu’on souhaite induire.
Le huitième stand
comporte deux ateliers. L’un d’eux est intitulé : Classes-lecture
en 5ème A la Ciotat. Renseignement pris A
la source : il s’agit du récit d’une classe de lecture, en collège,
qui a eu lieu une fois et… où il a été question de
culture.
On a donc choisi le critère
culturel pour «ranger» cet atelier A défaut d’avoir
créé «un village» qui aurait, par exemple, regroupé
les initiatives centrées sur l’idée que certaines formes
d’organisation de l’espace et du temps scolaire génèrent
des manières de vivre nouvelles, davantage centrées sur l’enfant
(au sens politique et non militaire du mot).
2 - Oral
Présentation d’une
série de pratiques d’expression orale. On a pris soin d’équilibrer
les témoignages selon l’origine : école ou collège.
A noter une réalisation partenariale école-collège.
Des «experts» sont parfois promoteurs, parfois partenaires
: le CLEMI est l’un d’eux. Beaucoup de témoignages relatent des
actions autour de la radio. Les uns ciblent l’intérieur de l’établissement
(gestion des conflits, magazine radio) d’autres ont une visée associative
et citoyenne (Droit de cité). L’ouverture sur l’environnement est
le fait de plusieurs autres. Un même parti-pris est présent
dans de nombreux ateliers : utiliser la radio pour «responsabiliser»
les collégiens. Enfin, comme souvent dans d’autres « villages
», certaines actions se présentent sous forme d’outils d’apprentissage,
comme par exemple, la SEGPA qui décrit ainsi son atelier «pratiques
orales quotidiennes : revaloriser, apprendre A communiquer, acquérir
des compétences transversales.»
3 - Presse, poèmes,
lettres …
Huit stands pour regrouper
une quinzaine d’ateliers dont beaucoup tournent autour du rôle de
la presse (le plus souvent dans sa forme classique du journal scolaire),
quelques-uns autour des usages possibles d’Internet (un peu sur le modèle
de la correspondance scolaire), deux autres fonctionnent en atelier poésie
et un dernier autour d’un journal mural en maternelle.
L’idée de faire voisiner
dans le même stand poésie et presse est curieuse. Qui est
l’intrus : la presse ou la poésie ?
4 - Commencements
Le stand est un hymne A
l’école maternelle. L’impression qui s’en dégage est celle
d’une grande maîtrise : on sait faire. Des récits de pratiques
autour de l’oral, dont beaucoup sont de prévention, voisinent avec
des travaux sur les écrits scientifiques ou des «coups»
qui engagent plusieurs classes A partir d’un même protocole
: exemple Croc’livres. L’essentiel tourne autour de l’offre de lecture
(notamment via la BCD) de prévention (encore et toujours)
d’initiation (pour des primo-arrivants), de relation avec les familles
(qu’on veut associer au projet de l’école)…
Peu d’indications sont fournies
sur les procédures mises en place pour aboutir au travail décrit
: on ne voit pas des équipes au travail, on observe des produits
finis.
5 - Écritures longues
C’est sous cette catégorie
qu’a été regroupée, en 8 stands, une vingtaine de
pratiques assez semblables dans leur principe d’organisation : une écriture
collective et parfois une contribution d’écrivain en résidence
(ex : une histoire d’esclavage et d’amitié écrite par une
classe de 4ème). Des variantes s’observent (le feuilleton), des
pôles d’intérêt servent de prétexte A
écriture (la mer, en Bretagne), la participation de tiers aussi
(un chercheur). Le roman est A l’honneur, l’imaginaire aussi.
Cette forme de travail est
fortement valorisée : le village a été beaucoup visité.
De ce succès on retire l’impression d’une forte convergence entre
ce qui est montré et ce que les visiteurs attendaient.
6 - Textes et stratégies
Un peu en prolongement du
village précédent, ici, on a une vingtaine de témoignages
qui font, de certains textes, le point d’appui d’une stratégie.
L’exemple le plus notable est celui d’un projet autour de l’œuvre de J.
Vallès qui a engagé deux cents enfants, un partenaire professionnel
(une troupe de théâtre) et qui a été piloté
par la division de l’action culturelle d’un rectorat. Plusieurs autres
exemples : écrire des contes pour apprendre en continu, un comité
de lecture pour améliorer l’offre de lecture en milieu rural, du
CM 2 A la 6ème ou comment harmoniser les apprentissages de
la lecture.
Chaque fois, le parti-pris
pédagogique est présent. L’écriture d’un roman
est prétexte A entraînement.
7 - Images et écran
Les ateliers présentés
sous ce label ont en commun d’avoir travaillé A l’aide de
plusieurs supports : le croisement texte-image est le plus souvent au principe
de l’action. L’idée forte est d’apprendre A se repérer
dans le monde des images, soit en les produisant (fabriquer un cédérom,
un roman-photo …) soit en éduquant les enfants A leur «lecture»
( lecture d’œuvres d’art, par exemple)
8 - Toutes disciplines
Sous ce thème, sont
présentées quelques initiatives qui font d’un professeur
autre que le professeur de lettres, un professeur de lecture (écriture
en arts plastiques, produire des textes de savoirs mathématiques…)
ou celles qui vont dans le sens de l’interdisciplinarité (histoire
et technologie, art et écriture, lire pour apprendre la rivière…).
Avoir choisi ce village-ci pour relater L’aventure d’un roman est
significatif d’une forte tendance. On aurait pensé que ce témoignage
avait sa place sous le signe du village «écritures longues»
mais non, il est lA avec une expérience qui témoigne
d’autre chose, comme si l’écriture n’était qu’un prétexte.
9. Handicaps, diagnostics
Plusieurs stratégies
sont présentées qui s’adressent aux malentendants, aux malvoyants
ou plus généralement aux élèves en grande difficulté.
On ne s’étonnera donc pas d’y trouver, sous le sigle de l’Observatoire
National de la Lecture, la présentation d’une «évaluation
lucide et pertinente» par A. Bentolila et son collaborateur
G. Tarle. Ce stand pose deux types de questions :
- peut-on échapper
A la tentation de «médicaliser» l’échec
en lecture ?
- l’O.N.L. et après
lui, le M.E. N, ont-ils sous-traité auprès d’une association
cette forme d’évaluation ?
Les témoignages
présentés ici confortent le choix de la médicalisation,
d’où le recours aux concepts de handicaps et de diagnostics qui
sont empruntés au langage de la médecine, comme on sait,
et d’où la mise en valeur, par les organisateurs, de l’outil proposé
par le réseau des observatoires locaux.
10 - Difficultés,
difficulté
Alors que le stand précédent
était dédié aux actions de repérage et du diagnostic,
celui-ci présente toute une série d’actions de remédiation.
La logique reste la même. De nombreux témoignages sont présentés
sous la forme du soutien, du défi-lecture, du décloisonnement,
de l’aide aux nouveaux arrivants, de l’atelier-lecture ..
On a évoqué,
plus haut, le stand présenté par l’équipe du collège
qui, en liaison avec la mission lecture de l’I.A., a initié un travail
A partir d’ELSA.
11 - Ecole et parents
Six stands regroupent la
somme des initiatives retenues qui mettent en cause les parents non pas
seulement comme des auxiliaires mais parfois comme de véritables
partenaires : mémoire familiale, lecture d’écrits de la famille,
le triangle : parents /enfants/maîtres, les bébés lecteurs.
L’intention de former les parents n’est jamais très loin ; elle
transparaît dans beaucoup d’ateliers, par exemple celui qui porte
le sous-titre suivant : une borne interactive pour choisir des livres.
A signaler aussi, dans un tout autre sens : un travail dans les familles
intitulé Solidarité-lecture.
La visite des stands ne pouvait
qu’être rapide et ne permettait – évidemment pas – d’entrer
dans la complexité de l’action conduite en grandeur nature. On est
toutefois sous une impression favorable : A l’évidence,
les équipes ont eu du plaisir A se décrire et sont
valorisées par la situation.
D’un autre côté,
deux constats s’imposent qui complètent – et nuancent – ce
sentiment.
w
Les équipes ont majoritairement présenté comme innovantes
des pratiques qui sont désormais entrées dans le domaine
public. Or, on aurait attendu qu’elles fassent l’objet de nouveaux
développements. Le défi-lecture est une bonne illustration
de ce propos. La modalité prend actuellement en effet une forme
stéréotypée, comme ce fut le cas pour l’auto-dictée
ou la reconstitution de texte
w
peu de témoignages s’inscrivent dans la logique d’une organisation
de la classe en projets utiles ou nécessaires au groupe et A
son environnement, la plupart privilégie, jusqu’A l’excès
parfois, l’émotionnel et le compensatoire.
VoilA pour les stands
dont il était permis d’espérer qu’ils seraient le reflet
d’une plus grande capacité d’invention et surtout – autre déception
– qu’ils seraient l’occasion de véritables échanges. En effet,
le face A face entre celui qui montre et celui qui veut comprendre
ne pouvait prendre, dans cette configuration, la forme d’un véritable
dialogue. Il suffisait d’observer le défilé des spectateurs,
leur questionnement – forcément limité – et les réponses
obtenues qui ne pouvaient qu’être courtes pour s’en rendre compte.
L’essentiel n’était
peut-être pas lA… Peut-être était-on venu A
Nantes plus pour montrer que pour observer. On était davantage dans
le registre de la rencontre que dans celui de l’échange. Pour le
coup, les deux journées furent une réussite totale. On avait
plaisir A être lA, secrètement fier, peut-être,
de l’avoir mérité, plus désireux de parler de ce qu’on
fait chez soi que d’écouter ceux qui, de leur côté,
ont tant A dire…