La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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L'EXPOSITION
des pratiques se montrent

Comme l’ensemble de la rencontre, l’exposition est le fruit de la volonté de Ségolène Royal, relayée par un comité de pilotage au sein duquel des influences diverses se sont exercées. Une consigne forte a été donnée : repérer les innovations et les donner A voir dans une perspective de généralisation. Une lettre de commande a été adressée A toutes les écoles et A tous les collèges. Il était demandé aux équipes de décrire leurs pratiques les plus innovantes A partir d’une grille suffisamment imprécise pour n’écarter personne. Pour le coup, le risque était réel de faire remonter des documents peu probants. 
 
Le déambulatoire de la Cité des Congrès de Nantes se prêtait bien A ce genre de présentation  et le savoir-faire des techniciens chargés de la mise en scène des témoignages a été irréprochable. Résultat : une expo réussie.  Il faut dire qu’on n’a pas lésiné sur les moyens… Dans les dossiers remis A chaque participant, deux documents concernent les témoignages :
w l’un énumère le «millier d’écoles et de collèges, des zones rurales et urbaines, centre ville et périphérie, impliqués dans des actions pour la maîtrise de la lecture et des langages (qui)  ont fait l’objet de témoignages collectés pour les Etats Généraux de Nantes les 4 et 5 mai 1999» mais on ne sait rien d’autre sur le contenu des fiches
w l’autre présente ceux qui ont été sélectionnés pour figurer dans l’exposition mais on ne sait pas davantage quels ont été les critères du choix et surtout qui l’a effectué.

Une question se pose : le comité de pilotage envisage-t-il de se livrer A une étude qualitative de l’ensemble des offres et des réponses données ? Gros travail, certes, mais qui serait hautement instructif sur la nature des pratiques les plus innovantes conduites au sein des établissements les plus engagés. Il donnerait d’utiles indications sur un point : assiste-t-on A un effet de modélisation ? Sommes-nous, au contraire,  en présence d’un véritable foisonnement qui laisserait augurer d’une forte capacité d’invention  ? 

Un élan certain a été suscité et a mis en mouvement des équipes de circonscription, de collèges, d’écoles … Preuve est ainsi administrée que le «système» n’est pas inerte. Des ressources sont mobilisables. Pour autant, si on en croit la rumeur, la frustration a été assez importante. Les témoignages les plus favorables parlent de doux désordre, les autres y voient la trace de mauvaises intentions. Des offres validées au niveau local n’ont pas été retenues au niveau national. Inversement, des offres envoyées directement ont été acceptées malgré l’opposition des instances locales. Des inspecteurs, des principaux de collège, des représentants de groupe académique «maîtrise de la langue» y ont vu la marque du désaveu de leur action. 

Au total 157 témoignages ont été retenus. De quelle réalité sont-elles le reflet ? 
Trois hypothèses :
w on a choisi un panel de témoignages (alors les stands seraient représentatifs du millier de témoignages parvenus)
w on a choisi ce qui méritait d’être mis en valeur (alors les stands seraient le palmarès de l’innovation)
w on a choisi de répartir en 11 «villages» pré-définis les témoignages (alors certains témoignages auraient été écartés parce que n’entrant pas dans les catégories décidées et d’autres seraient sur-représentés) 
Impossible de dire laquelle l’a emporté ! Peut-être même les choix effectués ne résultent-ils  probablement pas d’une politique implicitement définie… Il n’empêche : ce qui frappe l’observateur, c’est  l’homogénéité de ce qui est mis en évidence.  On s’attendait, en effet, A davantage de diversité. 

Des militants de l’AFL ont, comme d’autres collègues,  présenté leurs travaux. Ils ne l’ont pas fait en fonction de leur appartenance A une association mais en réponse A la commande. Il n’est donc pas question de développer ici une attitude qui laisserait penser qu’un tri a été effectué A raison de l’engagement militant. Raison de plus pour comparer ce qui a été retenu A ce qui ne l’a pas été. 
Soit deux offres issues des travaux de l’AFL: l’une décrit, dans le détail, le dispositif des classes-lecture autour des deux idées centrales familières A ceux qui ont suivi l’histoire de Bessèges (pédagogie du projet et co-formation des adultes),  l’autre, intitulée La remédiation-lecture au collège décrit le module d’entraînement autour d’ELSA proposé au sein d’un collège. Seule la deuxième a été retenue. Simple hasard ?  Risquons une interprétation : par ce choix  est signifié l’engagement en faveur d’une politique du « tout remédiation » qui privilégie les aspects techniciens du problème. Ce ne serait pas la première fois que l’apport de l’AFL aurait été ramené A cette dimension. ELMO hier, ELSA aujourd’hui, les BCD, les classes-lecture, toutes ces innovations ont été « reçues » de ce point de vue lA. 

Pour mieux comprendre la nature des réponses retenues, il convient de procéder A 
une présentation, même rapide, des 11 « villages  », des 79 stands et des 157 ateliers 
 

1 - langages et cultures : 
Sept des huit stands présentés sous ce label ont une même caractéristique : l’ouverture culturelle. Ils portent A la fois sur l’écriture et sur un ou plusieurs arts : musique, opéra, théâtre, ou danse. Ils ont en commun un objectif de production et sont tantôt le fait d’une classe tantôt celui d’un groupe de classes voire même d’une circonscription entière. Les conditions de réalisation ne sont pas indiquées ou font l’objet de brèves notations. On décrit plutôt les objectifs, notamment les apprentissages scolaires qu’on souhaite induire. 
Le huitième stand comporte deux ateliers. L’un d’eux est intitulé : Classes-lecture en  5ème A la Ciotat. Renseignement pris A la source : il s’agit du récit d’une classe de lecture, en collège, qui a eu lieu une fois et… où il a été question de culture.
On a donc choisi le critère culturel pour «ranger» cet atelier A défaut d’avoir créé «un village» qui aurait, par exemple, regroupé les initiatives centrées sur l’idée que certaines  formes d’organisation de l’espace et du temps scolaire génèrent des manières de vivre nouvelles, davantage centrées sur l’enfant (au sens politique et non militaire du mot).
 

2 - Oral
Présentation d’une série de pratiques d’expression orale. On a pris soin d’équilibrer les témoignages selon l’origine : école ou collège. A noter une réalisation partenariale école-collège. Des «experts» sont parfois promoteurs, parfois partenaires : le CLEMI est l’un d’eux. Beaucoup de témoignages relatent des actions autour de la radio. Les uns ciblent l’intérieur de l’établissement (gestion des conflits, magazine radio) d’autres ont une visée associative et citoyenne (Droit de cité). L’ouverture sur l’environnement est le fait  de plusieurs autres. Un même parti-pris est présent dans de nombreux ateliers : utiliser la radio pour «responsabiliser» les collégiens. Enfin, comme souvent dans d’autres « villages », certaines actions se présentent sous forme d’outils d’apprentissage, comme par exemple, la SEGPA qui décrit ainsi son atelier «pratiques orales quotidiennes : revaloriser, apprendre A communiquer, acquérir des compétences transversales.»

3 -  Presse, poèmes, lettres …
Huit stands pour regrouper une quinzaine d’ateliers dont beaucoup tournent autour du rôle de la presse (le plus souvent dans sa forme classique du journal scolaire), quelques-uns autour des usages possibles d’Internet (un peu sur le modèle de la correspondance scolaire), deux autres fonctionnent en atelier poésie et un dernier autour d’un journal mural en maternelle. 
L’idée de faire voisiner dans le même stand poésie et presse est curieuse. Qui est l’intrus : la presse ou la poésie ? 

4 - Commencements
Le stand est un hymne A l’école maternelle. L’impression qui s’en dégage est celle d’une grande maîtrise : on sait faire. Des récits de pratiques autour de l’oral, dont beaucoup sont de prévention, voisinent avec des travaux sur les écrits scientifiques ou des «coups» qui engagent plusieurs classes A partir d’un même protocole : exemple Croc’livres. L’essentiel tourne autour de l’offre de lecture (notamment via la BCD) de  prévention (encore et toujours) d’initiation (pour des primo-arrivants), de relation avec les familles (qu’on veut associer au projet de l’école)… 
Peu d’indications sont fournies sur les procédures mises en place pour aboutir au travail décrit : on ne voit pas des équipes au travail, on observe des produits finis.

5 - Écritures longues 
C’est sous cette catégorie qu’a été regroupée, en 8 stands, une vingtaine de pratiques assez semblables dans leur principe d’organisation : une écriture collective et parfois une contribution d’écrivain en résidence (ex : une histoire d’esclavage et d’amitié écrite par une classe de 4ème). Des variantes s’observent (le feuilleton), des pôles d’intérêt servent de prétexte A écriture (la mer, en Bretagne), la participation de tiers aussi (un chercheur). Le roman est A l’honneur, l’imaginaire aussi. 
Cette forme de travail est fortement valorisée : le village a été beaucoup visité. De ce succès on retire l’impression d’une forte convergence entre ce qui est montré et ce que les visiteurs attendaient. 

6 - Textes et stratégies
Un peu en prolongement du village précédent, ici, on a une vingtaine de témoignages  qui font, de certains textes, le point d’appui d’une stratégie. L’exemple le plus notable est celui d’un projet autour de l’œuvre de J. Vallès qui a engagé deux cents enfants, un partenaire professionnel (une troupe de théâtre) et qui a été piloté par la division de l’action culturelle d’un rectorat. Plusieurs autres exemples : écrire des contes pour apprendre en continu, un comité de lecture pour améliorer l’offre de lecture en milieu rural, du CM 2 A la 6ème ou comment harmoniser les apprentissages de la lecture. 
Chaque fois, le parti-pris pédagogique est présent.  L’écriture d’un roman est prétexte A entraînement. 

7 - Images et écran 
Les ateliers présentés sous ce label ont en commun d’avoir travaillé A l’aide de plusieurs supports : le croisement texte-image est le plus souvent au principe de l’action. L’idée forte est d’apprendre A se repérer dans le monde des images, soit en les produisant (fabriquer un cédérom, un roman-photo …) soit en éduquant les enfants A leur «lecture» ( lecture d’œuvres d’art, par exemple)

8 - Toutes disciplines 
Sous ce thème, sont présentées quelques initiatives qui font d’un professeur autre que le professeur de lettres, un professeur de lecture (écriture en arts plastiques, produire des textes de savoirs mathématiques…) ou celles qui vont dans le sens de l’interdisciplinarité (histoire et technologie, art et écriture, lire pour apprendre la rivière…). Avoir choisi ce village-ci pour relater L’aventure d’un roman est significatif d’une forte tendance. On aurait pensé que ce témoignage avait sa place sous le signe du village «écritures longues» mais non, il est lA avec une expérience qui témoigne d’autre chose, comme si l’écriture n’était qu’un prétexte. 

9. Handicaps, diagnostics
Plusieurs stratégies sont présentées qui s’adressent aux malentendants, aux malvoyants ou plus généralement aux élèves en grande difficulté. On ne s’étonnera donc pas d’y trouver, sous le sigle de l’Observatoire National de la Lecture, la présentation d’une «évaluation lucide et pertinente» par  A. Bentolila et son collaborateur G. Tarle. Ce stand pose deux types de questions : 
- peut-on échapper A la tentation de «médicaliser» l’échec en lecture ?
- l’O.N.L. et après lui, le M.E. N, ont-ils sous-traité auprès d’une association cette forme d’évaluation ? 
Les  témoignages présentés  ici confortent  le choix de la médicalisation, d’où le recours aux concepts de handicaps et de diagnostics qui sont empruntés au langage de la médecine, comme on sait, et d’où la mise en valeur, par les organisateurs, de l’outil proposé par le réseau des observatoires locaux. 

10 - Difficultés,  difficulté
Alors que le stand précédent était dédié aux actions de repérage et du diagnostic, celui-ci présente toute une série d’actions de remédiation. La logique reste la même. De nombreux témoignages sont présentés sous la forme du soutien, du défi-lecture, du décloisonnement, de l’aide aux nouveaux arrivants, de l’atelier-lecture .. 
On a évoqué,  plus haut, le stand présenté par l’équipe du collège qui, en liaison avec la mission lecture de l’I.A., a initié un travail A partir d’ELSA. 

11 - Ecole et parents 
Six stands regroupent la somme des initiatives retenues qui mettent en cause les parents non pas seulement comme des auxiliaires mais parfois comme de véritables partenaires : mémoire familiale, lecture d’écrits de la famille, le triangle : parents /enfants/maîtres, les bébés lecteurs. L’intention de former les parents n’est jamais très loin ; elle transparaît dans beaucoup d’ateliers, par exemple celui qui porte le sous-titre suivant : une borne interactive pour choisir des livres. A signaler aussi, dans un tout autre sens : un travail dans les familles intitulé Solidarité-lecture

La visite des stands ne pouvait qu’être rapide et ne permettait – évidemment pas – d’entrer dans la complexité de l’action conduite en grandeur nature. On est toutefois sous une impression favorable : A l’évidence,  les équipes ont eu du plaisir A se décrire et sont valorisées par la situation. 
D’un autre côté, deux constats s’imposent  qui complètent – et nuancent – ce sentiment.
w Les équipes ont majoritairement présenté comme innovantes des pratiques qui sont désormais entrées dans le domaine public. Or, on  aurait attendu qu’elles fassent l’objet de nouveaux développements. Le défi-lecture est une bonne illustration de ce propos. La modalité prend actuellement en effet une forme stéréotypée, comme ce fut le cas pour  l’auto-dictée ou la reconstitution de texte 
w peu de témoignages s’inscrivent dans la logique d’une organisation de la classe en projets utiles ou nécessaires au groupe et A son environnement, la plupart privilégie, jusqu’A l’excès parfois, l’émotionnel et le compensatoire. 

VoilA pour les stands dont il était permis d’espérer qu’ils seraient le reflet d’une plus grande capacité d’invention et surtout – autre déception – qu’ils seraient l’occasion de véritables échanges. En effet, le face A face entre celui qui montre et celui qui veut comprendre ne pouvait prendre, dans cette configuration, la forme d’un véritable dialogue. Il suffisait d’observer le défilé des spectateurs, leur  questionnement – forcément limité – et les réponses obtenues qui ne pouvaient qu’être courtes pour s’en rendre compte. 
L’essentiel n’était peut-être pas lA… Peut-être était-on venu A Nantes plus pour montrer que pour observer. On était davantage dans le registre de la rencontre que dans celui de l’échange. Pour le coup, les deux journées furent une réussite totale. On avait plaisir A être lA, secrètement fier, peut-être, de l’avoir mérité, plus désireux de parler de ce qu’on fait chez soi que d’écouter ceux qui, de leur côté, ont tant A dire…