La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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LES RENCONTRES 

Trois modalités de travail étaient prévues : deux plénières (l’une pour inaugurer, l’autre pour clore les rencontres), trois  tables rondes (le temps de l’analyse en grand groupe d’un thème ample), seize ateliers (le temps des points de vue et des témoignages autour d’une question plutôt circonscrite).
 

L’INAUGURATION 

La ministre prend place A l’extrême gauche de l’arc des petits fauteuils qui ont été placés sur la scène autour d’un « grand journaliste » : elle ne préside pas. Le rôle revient A Jean-Luc Séguillon. Au nom de la prééminence du terrain, six grands témoins du monde de la pratique, des  instituteurs(trices), des professeurs de collège et de lycée ont  l’honneur de la tribune et, pour en renforcer l’effet, la séance commence par la diffusion d’une vidéo réalisée, A coup d’interviews et d’illustrations prélevées dans des classes. Plusieurs séquences ponctuent le film (dont la réalisation a été confiée A une équipe mixte CNDP/Eleb Communication). On a filmé dans quatre écoles et deux collèges. A Paris et en province. Dans cinq établissements publics et dans une école privée. Souci d’équilibre. Que disent les séquences ? Elles vont globalement dans un même sens et la trame de l’attente apparaît : expression, communication, échange. On perçoit A la fois combien le métier est difficile, combien les enseignants sont méritants et combien les élèves sont désireux d’apprendre. L’un des professeurs témoigne par sa présence, par ses propos et par sa conviction, qu’on peut être professeur de mathématiques et s’intéresser A la lecture, être un produit réussi de l’intégration républicaine et plaider en faveur de l’exigence, avoir appris A parler dans une autre langue et manier avec aisance le français. Si la majorité des élèves tiennent des propos convenus (il faut apprendre A lire pour avoir un bon métier) seule une collégienne dit sa déception de voir le collège ne pas prendre en considération sa vraie vie. De l’ensemble des images et des discours tenus, on retire plutôt une impression d’unanimisme. Les applaudissements nourris qui ponctuent la fin du film rendent compte, au-delA de l’effet spectacle, d’un fort degré d’adhésion des participants au contenu global du film. Celui-ci joue bien son rôle : film d’accroche, il donne le ton des Etats Généraux et profile l’horizon.
La séance a un caractère de grande solennité : une salle quasi-majestueuse, un auditoire aussi nombreux que frémissant d’attente, le renfort de chercheurs (B. Lahire, J.M. Besse) et la présence d’un homme de lettres (Eric Orsenna) réquisitionné pour rassurer tous ceux qui douteraient du sérieux de l’entreprise. Prises de parole, esquisse de débat. Les chercheurs parlent comme des chercheurs, l’écrivain du haut de son inspiration, et les témoins, forts de leurs conviction. Opinion contre opinion. Arrive le  point d’orgue de la séance, c’est le discours d’inauguration. Pupitre, texte préparé, ton de l’humilité, propos assurés, volonté affirmée de valoriser les lieux de la pratique et de chercher, dans les innovations qui en émanent, «le moyen de partager le premier pouvoir».
 

LES TABLES RONDES

Dans la gestion du temps, il s’agissait de passer du très grand groupe au petit groupe via un sas de décompression, la table ronde. Les participants se répartissent entre trois salles autour de trois thèmes, en fonction de leur choix. Chaque groupe a pour objectif d’explorer l’un des trois grands axes supposés structurer les Etats Généraux. Ces axes sont présentés en ces termes :  
- Diversité des publics et unicité des missions de l'école : «Comment prendre en compte la diversité des enfants, la comprendre, accueillir des élèves non pas virtuels mais bien réels pour que l'école soit mieux A même d'assumer et d'assurer, pour tous, les missions qui sont les siennes en refusant d'être A géométrie variable.»
- Conjuguer les différents langages (lu, écrit, oral, image..). «Cette question reste encore modérément ouverte A l'école alors que dans le monde alentour A certaines conditions, l'effet de levier d'un langage A l'autre peut fonctionner efficacement au service des apprentissages scolaires...» 
- L'évolution du métier d'enseignant : «Des changements subis aux changements souhaitables dans les pratiques professionnelles.»

Seule cette dernière table sera décrite ici avec le souci de rendre compte de ce qui a fait l'unité de ce moment de travail malgré la diversité des thèmes. La tonalité des propos tenus dans les trois lieux oscille entre la plainte (ah, les moyens !) et le besoin de dire comment on résout tel ou tel problème (ah, le besoin de reconnaissance !). Entre les animateurs (en position de représenter ici l'institution) et la salle (le monde tel qu'il va ?), il s'est vite établi un rapport de type « de vous A nous ».

Les "officiels" co-animateurs de la table sont deux inspectrices, (Mme Weiland, (IGEN) Mme Armand (IPR) et deux universitaires, (Cl. Garcia et R. Goigoux). L'équilibre, décidément. 
Chacun d'eux utilise le temps de parole qui lui est dévolu (instruction a sûrement été donnée de faire court pour laisser le plus possible la parole A la salle). Il en ressort les points suivants : 
- La question de la maîtrise des langages suppose que deux points soient traités : assurer une véritable interdisciplinarité, promouvoir une continuité des apprentissages de la maternelle au collège
- Les jeunes professeurs n'ont qu'un souci : gérer la classe et pour cela obtenir le silence. D'où la nécessité de continuer la formation pendant la phase d'entrée dans la profession 
- Une recherche montre l'importance de la notion d'étayage dans les interactions : construction d'une expertise autour de la re-formulation des propos des élèves et des maîtres. Il apparaît que cette recherche via l'analyse de corpus et l'autoscopie constitue une motivation au travail de formation. 
-  Face aux exigences, souvent contradictoires, la nécessité d'établir une hiérarchie s'impose. Trois approches sont A considérer : A quoi renoncer ? quel bagage minimum ? quel lien entre formation initiale et formation continue ? 

Les interventions des praticiens révèlent des niveaux de préoccupation qui portent sur le recrutement (le cas particulier du Capes de lettres est évoqué : faut-il recruter des professeurs 
de littérature ou de langue ?), sur le traitement inégalitaire des élèves (développer une pédagogie de la défectologie, dit quelqu'un), sur les enjeux de la formation continue (celle-ci serait A repenser en lien étroit avec la FI), sur les bases de la FC (rendre accessibles les formes ordinaires de la profession). De ce point de vue, il s'agirait de former aux pratiques de référence. On s'est même demandé «s'il était raisonnable d'initier les futurs maîtres A des pratiques d'initiation A la lecture qui ne sont en place que pour une toute petite minorité d'élèves», sur la nécessité de dégager des moyens pour favoriser le travail en commun sur projet (ne plus accepter que cela se fasse sur le mode actuel qui consiste A dire : "c'est en plus du métier"), sur le rôle important joué par le terrain en formation continue pour «apprendre A faire ce que les enfants font.» 
Le besoin de "vérité" est très fort pour tous (pas de théorie, de la pratique). Si on s'accorde A vouloir qu'il n'y ait pas de rupture dans le discours entre l'IUFM et les IEN, on diverge sur la question de savoir si ces derniers sont (ou non)  des formateurs. Selon le niveau d'exercice  des participants (premier ou second degré) des lignes de rupture apparaissent. On établit un constat d'échec des tentatives de rapprochement qui ont été opérées ici ou lA, par exemple autour de l'articulation CM2/ 6ème.
S'agissant du second degré, la question de l'interdisciplinarité se pose. On convient qu'il est nécessaire de bien armer le travail dans une discipline pour réaliser des avancées dans une perspective plus globale. Trois voies sont alors envisagées : la logique strictement disciplinaire, A l'opposé de "celle du poisson rouge ou du cochon d'Inde" (abandon de la discipline au profit du thème), entre les deux, une voie médiane qui semble être optimisée par quelques-uns et qu'on nomme transversale. 
Les participants ont exprimé très majoritairement deux souhaits : renforcer l'aspect «professionnalisation de la formation» et gérer, dans la continuité, les deux moments de la formation (initiale et continue). 
Quand ils parlent de réformes, c'est en termes de structures de type institutionnel qu'ils s'expriment (par exemple, quand ils veulent améliorer le recrutement des stagiaires, ils proposent que l'Etat modifie la nature du concours)  et non en termes d'organisation de l'école ou du collège ni de statut des élèves (ce qui les impliquerait plus directement)
 

LES ATELIERS 

La liste des ateliers ouverts a été donnée par ailleurs. Elle donne une idée de la nature des préoccupations ; elles sont résolument ancrées dans le réel de la pratique même si certaines d'entre elles ont un caractère un peu virtuel. L'intention des organisateurs est de procéder A de véritables échanges entre les participants qui ont choisi l'atelier fréquenté. Parmi les 16 qui ont été ouverts, nous avons choisi de décrire le fonctionnement de deux d'entre eux.  

1 - maîtrise des langages, interdisciplinarité et savoir-faire transversaux. 
Cet atelier répond A une préoccupation énoncée plus haut (conduire des activités A la confluence entre plusieurs disciplines). Se  trouve implicitement  renforcée l'hypothèse selon laquelle les organisateurs ont su aller A la rencontre des attentes potentielles des participants. 
L'animation de l'atelier incombait A une universitaire et A un formateur exerçant l'un et l'autre en IUFM. Les attentes de l'atelier sont formulées A nouveau : «Toutes les disciplines supposent une maîtrise des langages et peuvent solidairement concourir A son acquisition. Toutes mettent en œuvre des savoir-faire transversaux (savoir-lire une consigne, prendre des notes, rédiger un compte-rendu se documenter, résumer, élaborer un dossier...). Comment dans le sens de ce qui se pratique déjA dans certains établissements, notamment en ZEP, favoriser les cohérences et les coopérations transversales ?»

Implicitement, le souhait était de procéder ensemble A l'analyse de pratiques. Les participants n'y ont guère souscrit. Cette manière d'agir aurait supposé une phase de préparation plus ample au cours de laquelle on aurait identifié quelques questions (deux ou trois  seulement) qui auraient été analysées ensemble au cours de l'atelier. A défaut donc de l'approfondissement désiré, l'atelier a été l'occasion d'une présentation succincte de différentes pistes de réflexion A explorer. En voici un inventaire partiel  :
- les compétences langagières s'acquièrent quelle que soit la discipline enseignée
- le langage et la pensée doivent être considérés dans leurs interactions
- l'importance du travail de re-formulation est A souligner
- des projets motivants aux acquis langagiers, quelles stratégies développer pour favoriser les réinvestissements ? 
- comment gérer la gestion du temps et la nécessité de la réécriture ?
Sur ce dernier point l'intervention d'un professeur de mathématiques exerçant en collège permet d'ouvrir un débat relativement nourri. Sa préoccupation est de concilier le nécessaire concision du langage mathématique et la nécessité d'être compris par tous. Il propose A cet effet un schéma de travail autour de l'écriture et de la réécriture de consignes. Il décrit son propre cheminement et conclut sur l'importance d'une formation A la croisée de plusieurs disciplines. Pour autant, les diverses interventions auxquelles on assiste, en même temps qu'elles mettent en lumière une claire conscience de la nécessité de cette transversalité, montrent combien on en est loin, du fait des pesanteurs actuelles et surtout de l'impréparation des professeurs. Malaise. 

2 - L'illettrisme 
Un mot suffit pour intituler l'atelier. Comme si dans sa sobriété, le mot disait le tout d'une situation qu'on dénonce et A laquelle on veut remédier, sans en passer par la phase de mise en perspective du phénomène. Certes, la présentation dans le document d'accompagnement se voulait plus explicite. 
Qu'on en juge : «Ni catastrophisme ni prise A la légère, ce qu'on appelle de nos jours illettrisme constitue pour le système scolaire et pour la nation, un manquement grave A la promesse républicaine d'éducation pour tous. Qu'en est-il de la situation réelle dans le pays ? De l'action des pouvoirs publics et des associations ? Comment faire pour que s'emparent du pouvoir de dire, de lire, d'écrire ceux qui en vivent la privation, dans la souffrance et, parfois, dans la honte ?» 
Se trouve ainsi occulté le lien de causalité entre exclusion et illettrisme qui donne A l'affaire un caractère socio-politique avant d'en faire une cause de souffrance ou de honte.  
Ont d'abord été chargés de l'animation : Jean-Marie Besse, universitaire et psychologue, Gabriel Tarle, inspecteur et membre de l'opération "observatoires locaux de la lecture" et Jean-Philippe Rivière du ministère de la défense. Il est apparu ensuite qu'il manquait un formateur et Benoît Falaize, professeur en IUFM et ex-membre du GPLI a été sollicité pour compléter l'équipe.  
Il est inutile de donner davantage d'indications sur la commande passée aux animateurs ; elle apparaît clairement A travers la composition du groupe. 
Dans la salle,  des participants de terrain, associatifs et fonctionnaires, ont indiqué leur lieu de pratique et par lA leur engagement dans des actions dites de lutte contre l'illettrisme. 
Benoît Falaize a adopté la posture du régulateur et Jean-Marie Besse celle du scientifique. Les autres intervenants (les armées, l'observatoire)  ont décrit les expériences dont ils étaient porteurs.  
Le psychologue commence par un bref rappel de "ce qu'on a appris ces 15 dernières années". D'abord que le terme est polysémique. Comme avec le test du Rorcharch, tout dépend de l'interprétation que chacun en donne. D'où la nécessité d'analyser son propre regard sur le phénomène. Deuxième mise en garde : il y a plusieurs illettrismes et pas un illettrisme. Troisième trait : il n'existe pas de degré zéro de l'illettrisme. L'animateur rappelle la nécessité qu'il y a A établir une distinction entre repérage (temps court) et diagnostic (temps long). G. Tarlé décrit ensuite le fonctionnement du réseau des observatoires de la lecture et J. Ph. Rivière l'action de repérage auprès des jeunes recrues. 
Vient ensuite le temps des récits de vie issus de terrain. Nous disons "récits de vie" pour souligner la forte implication des personnes qui relatent ces témoignages. Le  souci d'apporter des aides se double  souvent du constat d'impuissance A construire une méthodologie neuve. Au mieux se met en place, notamment, dans des centres de formation qui se sont spécialisés,  une pédagogie individualisée (une forme de préceptorat) grâce A laquelle on espère réconcilier chacun avec les apprentissages initiaux. Les associations expriment une forte volonté de se démarquer de l'action de l'Education Nationale mais revendiquent, de sa part, une sorte d'assentiment de l'action conduite. Intervention très remarquée également de Dominique Sampierro (auteur du scénario dont Tavernier a tiré son film Ca commence demain) qui dénonce les pratiques sociales du test (stigmatisation), se déclare peu rassuré par cette volonté de circonscrire un phénomène sans traiter ce qui le génère et va jusqu'A se demander si le refus de l'école qui est derrière l'illettrisme ne mérite pas d'être considéré de manière positive.  
 

LA PLENIERE DE CLOTURE 

Le rituel est sauf. A un détail près. La salle des congrès est davantage remplie qu'on aurait pu le redouter : horaires des trains obligeant. Pourquoi ce vif intérêt ? 
La ministre avait souhaité montrer l'authenticité de sa détermination et s'en tenir A la ligne suivante : ce n'est pas au ministère de tracer la route et il ne lui appartient pas de conclure ces Etats Généraux en annonçant des mesures. Elle a finalement renoncé tant l'attente des participants était grande. Pour eux, pas de débat de ce genre sans conclusion en forme d'orientations. La nouvelle selon laquelle des décisions seraient finalement annoncées a circulé suffisamment A temps pour donner A cette séance sa dimension de point d'orgue. 
Avant que la ministre ne s'exprime, avant le débat général avec la salle, quatre prises de parole : 
- Alain Bentolila pour dire en substance : «ni séduction, ni menace, ni promesse, ce qui subsiste de ces États Généraux s'adresse d'abord aux élèves : nous allons vous aimer intellectuellement, ce qui est le sens de l'école.»
- Mme Weilhant pour rappeler «la nécessaire continuité des apprentissages.»
- M. Masselot-Gérard pour souligner «l'importance de l'image dans la maîtrise des langages.»
- D. Sampierro pour rêver «des États Généraux du plaisir.» 
Le débat avec la salle a été bref ce qui n'a pas empêché plusieurs intervenants de faire part de leurs points de vue. En vrac : 
- Une personne fait état de sa frustration : on n'a pas entendu les gens qu'on voulait entendre. 
- H. Zoughebi déplore le caractère très fragmentaire de ce qui a été montré dans la librairie des Etats Généraux en matière de littérature de jeunesse, se félicite de l'ouverture annoncée d'un travail partenarial avec l'extérieur de l'Education Nationale, renouvelle son invitation A faire une place plus grande encore au monde de la littérature de jeunesse A l'école.
- Jean-Marie Pousseur, Maire-adjoint de la Ville de Nantes décrit le fonctionnement du centre Ressources Ville autour d'actions de développement de la lecture, notamment les classes-lecture 
- Roland Goigoux, maître de conférence A l'IUFM de Clermont-Ferrand, rappelle que le travail en commun et la recherche sont les deux conditions des avancées souhaitables et que cela a un coût. Pour lui, ces recherches sont A conduire A partir des problèmes qui se posent effectivement A l'école. 
- Monique Maquaire constate qu'on s'intéresse beaucoup trop vite aux réponses (le comment) et pas assez aux questions (le pourquoi). On en vient A développer un «pathos humanitaire», demande instamment qu'on s'intéresse A l'enfant non pas seulement comme individu mais A travers son appartenance A un collectif.