La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°67 septembre 1999

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 DES PROPOSITIONS

5ème initiative

CLARIFIER LES OBJECTIFS PÉDAGOGIQUES EN MATERNELLE

Dès sa naissance, plongé dans le monde, l’enfant est interpellé par tout ce qui le constitue et l’écrit surgit A tout instant ; c’est la privation de la compagnie de son grand-père parce qu’il lit le journal mais c’est aussi le délicieux moment où on lit une histoire, c’est encore l’intérêt de savoir A quelle heure arrive le train de papa et ce que l’on va manger A la cantine...
Voir lire, savoir ce que l’écrit apporte et son rôle dans la vie quotidienne, utiliser l’écrit pour son propre compte, pour communiquer, pour comprendre, pour se remémorer, pour se faire plaisir... Rendre cela possible pour tous les enfants.
En 1999 l’unanimité s’est faite peu A peu, semble-t-il, autour de ces idées.

Quel a été alors l’apport de l’AFL ?
Attachée A une analyse psycho-linguistique de la lecture, l’AFL a étudié le comportement du lecteur, faisant l’hypothèse que cette connaissance permettait de comprendre comment s’opère ou ne s’opère pas l’apprentissage et ce qui est nécessaire pour qu’il se fasse en temps utile.
Dès l’été 1985, un stage “Lecture et Petite Enfance” réunit des enseignants et des bibliothécaires. Des publications ont suivi, fruits de la recherche et de l’expérimentation.(Cf. bibliographie jointe)
Avant toute autre considération, l’AFL affirme que l’enfant, dès son plus jeune âge, est lecteur ; elle lui confère ce statut, inconditionnellement, avec la certitude qu’il peut devenir lecteur autonome comme il est devenu locuteur.

La langue trouve sa légitimité avec l’existence de l’autre, y compris dans une lecture solitaire qui établit un rapport avec une autre pensée, celle de l’auteur. Ce caractère social conduit A examiner les contextes de rencontre avec l’écrit. Et l’AFL d’affirmer que l’enfant, doit être témoin de l’usage qu’en font ses aînés, destinataire, usager d’écrits qui interfèrent dans sa vie, et enfin producteur, pour mener A bien son apprentissage.
Mais il ne s’agit pas d’introduire artificiellement un écrit ; nous aurions affaire A un écrit scolaire, qui n’existe que pour lui-même et que l’AFL rejette quand elle invite A “déscolariser la lecture”.
Il ne s’agit pas non plus de l’évincer, il faut le faire fonctionner au sein et au profit des projets, petits et grands, des enfants et de la classe.
Fonctionner, le maître-mot. D’aucuns ont voulu réduire le fonctionnel A l’utilitaire. Il n’en est rien et nous considérons que la poésie est tout aussi fonctionnelle que la recette de cuisine.
Si l’AFL pense que “l’on n’est jamais trop petit pour lire”, elle n’adhère pas pour autant A l’idée d’un enseignement précoce. C’est d’apprentissage qu’il est question.

Sur ces bases, très schématiquement évoquées, toute l’association a beaucoup travaillé :
w inventaire des situations où l’écrit intervient : courrier, cahier de vie, calendrier et agenda, 
  affichage de tâches, d’informations, d’annonces, heure du conte, menu, etc..., bref un inventaire “des écrits pour vivre” et  des instruments afférents.
w fonctionnement de la classe et de l’école impliquant l’usage de l’écrit : hall d’infos, journaux, 
  gestion des projets, conseil d’école, etc...
w mise en place de BCD pour laquelle l’AFL a joué un rôle de premier plan pour en définir les 
  objectifs et le fonctionnement. Lieu privilégié de rencontre avec tous les types d’écrits, c’est aussi 
  un outil qui permet A l’enfant de ne pas être un simple consommateur mais d’en être gestionnaire 
  et co-animateur. La BCD peut être réduite A un moyen ou, si elle est centrale, si elle participe de 
  l’innovation, devenir un instrument de la transformation de l’école.
 
Les objectifs d’un projet pédagogique ne sont rien si l’on n’établit pas une adéquation de l’organisation de l’école et de son fonctionnement, du statut des personnes, en particulier des enfants,  des outils que l’on élabore ; exigence de cohérence des objectifs avec la démarche et les moyens.
Sans nous étendre, rappelons seulement l’importance des conseils d’enfants, des journaux d’opinions, des projets, de la co-éducation et arrêtons-nous un peu sur deux pratiques, deux productions de l’AFL pourrions-nous dire, l’usage d’ELMO International et la “leçon de lecture”.

ELMO International, logiciel d’entraînement qui permet aux enfants de multiplier les rencontres avec l’écrit, d’organiser les observations, de fixer les découvertes, de généraliser, préalable A un travail ultérieur de théorisation. Les écrits qui servent de base A l’entraînement sont issus de la vie de la classe et de l’école puisque la “bibliothèque”  y est introduite par l’enseignant en fonction des activités et des savoirs de son groupe.
Je ne résiste pas au plaisir de livrer ici une anecdote qui éclaire l’apport de l’informatique.
Cela se passe dans une école de Bobigny. Je rencontre dans le couloir une fillette de 4 ans qui se rend A la BCD. Elle m’informe qu’elle va “A BCD service”. Devant mon ignorance, elle décide de m’emmener pour m’expliquer de quoi il s’agit.
Elle s’installe et commence une fiche qui consiste A retrouver le nom des animaux dont le dessin apparaît. Des aides sont offertes qui assurent le succès.
Elle s’est ainsi, avec un plaisir évident, seule et A son rythme, entraînée A l’identification et la discrimination, compétences indispensables A la lecture.
Quant A la leçon de lecture, j’entends les murmures. Leçon ? cela ne signifie-t-il pas enseignement ? Eh bien , pas vraiment !
Soit un texte, lettre, épisode d’un feuilleton, page d’album, affiche, un texte qui concerne les enfants, la vie dans la classe, leurs projets. Les enfants mobilisent, pour le découvrir et le comprendre, leurs savoirs existants, font des hypothèses et les mettent en commun, les confrontent avec l’aide de l’adulte qui anime et coordonne le travail. L’attention porte sur le sens. Les remarques sémantiques et syntaxiques, sur les graphies, les ressemblances et les différences seront un point de départ d’une activité de systématisation assurant les mémorisations et automatismes. Chemin faisant les compétences techniques des enfants se construisent. 
Leçon ,donc, parce que le travail systématique se fait sur un texte choisi par l’adulte.

Au moment où l’Éducation Nationale organise A Nantes les Etats Généraux de la Lecture, l’AFL peut  souhaiter faire valoir des propositions issues de l’expérimentation. 
Un survol de ses travaux  n’apportera rien aux lecteurs des actes de lecture sinon, en resituant toute l’action de l’AFL, de souligner les apports spécifiques qui constitueraient sa contribution au projet commun. 

Cinq des douze “initiatives concrètes” proposées par Ségolène Royal A Nantes, retiennent notre attention :
w Relancer une politique des cycles pédagogiques
w Clarifier les objectifs pédagogiques de l’école maternelle
w Mieux intégrer la BCD...
w Former les équipes pour accompagner l’évolution du métier
w Une recherche-action sur les pratiques d’apprentissages en particulier les apprentissages 
  premiers

Voici  les réflexions qu’elles m’inspirent.
Le monde s’offre au regard et A l’écoute de l’enfant dans toute sa complexité. Quant A l’enfant, dans ses efforts pour en percevoir le sens, il ne fait pas le tri entre ce qui serait simple (A nos yeux) et ce qui serait compliqué. 
Etudier démarches et pratiques d’apprentissages, exige que l’on prenne en compte cette appréhension de la complexité. L’expression “apprentissages premiers” mérite d’être précisée pour ne pas conforter le sentiment répandu qu’une démarche d’apprentissage doit aller du simple au complexe et ne pas risquer de renforcer l’idée de pré-requis. La réalité est probablement plus dynamique parce que les apprentissages interagissent entre eux.
La langue est immédiatement objet d’investigation dans la mesure où elle implique l’enfant, dès sa naissance, dans son rapport A autrui. Elle est source de sécurisation et d’identification. C’est pourquoi l’apprentissage linguistique est au centre des activités du cycle 1.
Pendant trois ans, les enfants vont acquérir la maîtrise de la langue orale. Ils conduisent leur apprentissage selon une méthode que l’on peut décrire : observation des pratiques des adultes, des aînés, hypothèses de sens et également de fonctionnement, essais et rectifications en fonction des réactions de l’entourage, élaboration d’une grammaire provisoire et réajustements progressifs. A cinq ans, les voilA devenus des locuteurs accomplis.
L’écrit est aussi entré dans leur vie, dans la famille, certes souvent, mais encore davantage A l’école où les projets, la vie du groupe, en créent mille et une occasions de rencontre et d’usage. Sont alors réunies les conditions de l’apprentissage et nos petits écoliers adoptent la même démarche que pour l’oral pour peu qu’on les aide A se repérer dans la jungle des mots.
Richesse du milieu de l’école, encore plus grande dans une classe multi-âges regroupant des enfants de deux A cinq ans. Les aînés du groupe sont A la fois des modèles et des passeurs vers un avenir accessible, imaginable et imaginé. 
Bien que les bébés s’intéressent A leurs pairs, c’est A deux ans, durant la période de la construction du “je” que le groupe prend tout son intérêt. L’enfant de deux ans a donc sa place A l’école et c’est A nous, les adultes, de créer les conditions matérielles et d’encadrement qui permettent de satisfaire A ses besoins. A deux ans, il était un grand A la crèche, A l’école il bénéficiera de la présence des plus âgés et plus particulièrement en classe multi-âges où les tracasseries des contraintes matérielles diminuent avec le nombre d’enfants de cet âge. Quant aux plus grands, leur rôle d’initiateur, accompagnant les petits, leur donne l’occasion prometteuse, de prendre la distance avec leurs propres acquis et d’entrer en “théorisation”.
Les enfants les plus culturellement démunis, attribuent, le plus souvent, A l’écrit un statut ni important ni gratifiant ; leur vie s’en passe, hélas ! Le rôle de l’école est d’autant plus déterminant qu’elle  introduit l’écrit dans le quotidien de la classe et qu’elle permet aux enfants d’en découvrir la fonction, la richesse. Ceci nous ramène aux pratiques ; quelles situations, quels projets, quels supports A l’identification, la mémorisation, l’attribution de sens, etc...?
Le cahier de vie où sont consignés les événements que l’enfant veut retenir, est source d’une activité multiple de mémoire, d’expression, de communication, de lecture et de relecture. Il mériterait une réflexion des enseignants de maternelle afin d’en tirer tout le profit. 
La BCD, service commun A toute l’école, peut devenir pour le cycle 1, un instrument important d’une politique éducative. Elle est un lieu de découverte, de plaisir, de pouvoir, lieu, enfin, où les enfants peuvent A leur rythme, lire, s’entraîner, produire, si elle n’est pas réduite A un magasin d’écrits que l’on sort A la demande. Mais c’est aussi un lieu qui s’enrichit des questions et des demandes des petits entraînant l’activité des grands pour y répondre.
On pourrait aborder d’autres pratiques, la lecture d’une grande histoire, les préparations de classes vertes etc... mais point n’est besoin de dresser un catalogue. 
L’AFL, durant plus de vingt ans, a accumulé une expérience dans le fonctionnement des BCD, l’organisation et le fonctionnement des cycles et des classes multi-âges mis au point par des équipes responsables, élaborant leur projet pédagogique, évaluant le travail des enfants et le leur propre. Par ses travaux ( recherches, études, enquêtes, productions...) elle a contribué A clarifier les objectifs éducatifs de l’école en général, du cycle 1 en particulier. A ce titre, elle peut apporter son concours en faisant les propositions suivantes :

w Relancer une politique des cycles pédagogiques
          - Présenter la palette des expériences observées avec leurs différentes organisations du cycle.
          - Préciser le contenu de la continuité entre le cycle1 et le cycle2.
          - Développer l’intérêt pour les classes multi-âges.

w Clarifier les objectifs pédagogiques de l’école maternelle
          - Préciser la place de l’écrit et de l’oral.
          - Définir les facteurs favorables au développement des compétences des enfants 
 
w Mieux intégrer les BCD
          - Lancer une étude pour répondre aux questions suivantes :
            Quelle BCD pour le cycle 1 ?
            Quelle place dans la BCD de l’école ?
            Quels apports des cycles 1 A la BCD ?

w Former des équipes pour accompagner l’évolution du métier
   Un dispositif de formation continue doit être mis sur pied, privilégiant la formation d’équipe,  pour  comprendre les enjeux de cet apprentissage, le rôle des familles et la relation A établir avec  elles, pour saisir comment jouent l’organisation et le fonctionnement de l’école.
   Les pratiques de classes transplantées, et en particulier de classes-lecture se sont révélées  efficaces pour les progrès des enfants mais également pour la formation des enseignants et bibliothécaires.
         - Organiser des classes-lecture de cycle1 conçues dans une double perspective de formation pour les enfants et pour les enseignants, profitant des apports de spécialistes, offrant les avantages cumulés d’une formation en action et de l’implication des parents dans la  préparation et le bilan.

w Une recherche-action sur les pratiques d’apprentissages
  Qu’est-ce qu’apprendre A deux, trois, quatre, cinq ans ? Piaget, Chomsky et bien d’autres nous ont éclairés sur ce point, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux.
  Mais reste aux instituteurs, la responsabilité de la mise en oeuvre. Il faut inventer les situations, les démarches qui, dans le respect du statut d’acteur et d’apprenant, sont les plus favorables aux enfants ; autant de sujets d’étude et de recherche sur le terrain qui exigent l’implication des équipes comme l’apport des chercheurs et des psychologues.
          - Désambigüer les notions d’enseignement et d’apprentissage.
          - Approfondir les notions d’aide, d’accompagnement, d’entraînement, de systématisation. 
          - Prévoir des lieux de réflexion sur la co-éducation, réunissant familles et maîtres.
 
L’AFL doit se donner comme but de valoriser ses travaux et d’obtenir que sa contribution soit prise en compte. 
Ces “initiatives concrètes” seront d’autant plus riches d’informations et prometteuses de formation qu’elles regrouperont des acteurs divers nourris de leur vécu comme de leur questionnement. L’AFL devrait être de ceux-lA.

    

Lire :

Plaquettes
- Apprendre A lire du cycle 1  au cycle 3. 
- Comment aider un jeune enfant A apprendre A lire ? (Lire de 0 A 5 ans)
- Cahier d’écrits, cahier de vie
- Le goût de lire est sur toutes les lèvres.

Outils pédagogiques
- Paulo, la grande histoire
- Lire, agir, comprendre

Collection Théo-Prat’
- Une BCD aux cycles 1 et 2
- Des écrits pour vivre aux cycles 1 et 2
- La lecture feuilleton aux cycles 1 et 2
- Atelier d’écriture aux cycles 1 et 2 ;

Livres pour enfants (M. Liber, J. Millot)
- Le loup
- L’ours
- Le zèbre
- Le manchot
 

 
Rolande Millot