La revue de l'AFL

Les actes de lecture   n°60  décembre 1997

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USAGES EXPERTS DE L'ÉCRIT
(Suite)




Depuis 1990, des écoles organisées en cycles réunissant souvent des classes multi-âges et travaillant avec l'AFL sont engagées dans des recherches INRP/AFL sur l'apprentissage de la lecture. De nombreux articles et des extraits des rapports de recherche qui rendaient compte des pratiques et des résultats sont parus dans nos colonnes. Sous cette rubrique Bonnes Pages, nous reproduisons le protocole d'un nouveau projet de recherche qui s'inscrit dans le prolongement des précédentes. Dans une première partie publiée dans notre précédent numéro (À.L. n°59, sept.97, p. 45) il était fait le point sur la problématique À l'issue des 7 années de démarches expérimentales afin de situer les hypothèses de cette nouvelle expérimentation. On trouvera ci-après la suite de ce protocole consacrée aux objectifs et aux modalités du projet.


Les objectifs de la recherche

Partant de cet acquis, le groupe souhaite poursuivre le travail de recherche dans trois directions.

1) Compréhension, production et spécificité de l'écrit.

Dans les débats entre spécialistes, la compréhension tient une place ambiguë. Il semble qu'un certain nombre d'entre eux (Cf. Alegria) en reviennent À l'idée qu'elle n'est pas une composante de la lecture mais sa conséquence. On lit pour comprendre mais lire n'est pas comprendre. L'Inspection Générale reprend cette thèse dans chacune de ces recommandations. Morais affirme même qu'il y a deux lectures : une pour le son, l'autre pour le sens. Le traitement de la chaîne écrite prépare la compréhension mais celle-ci n'est pas obligatoire, au point qu'on repère les hyperlexiques au fait qu'ils décodent compulsivement de l'écrit sans accéder À sa signification, une sorte de généralisation, en guise de lecture, des processus de traitement des pseudo-mots. On se demande d'ailleurs si le gène de l'hyperlexie doit être recherché dans le patrimoine de l'élève ou dans celui de son instituteur. La logique de cette conception du rapport entre lecture et compréhension conduit À affirmer (Cf. Sprenger-Charolles) qu'il n'y a, en tout état de cause, un déficit de lecture que si la compréhension de l'écrit est inférieure À la compréhension de l'oral correspondant. On imaginerait donc des évaluations pour comparer chez le même individu la compréhension de phrases selon qu'il les a lues ou qu'on les lui a dites.

Une telle approche nourrit un débat théorique essentiel. Elle n'est concevable que si on pose une équivalence entre l'oral et l'écrit À la seule différence du médium, entendu d'un côté, vu de l'autre. C'est la thèse phonocentriste qui fait, on le sait, de l'écriture un doublet visuel, un corrélat objectif, une représentation de la parole, comme le veut la tradition saussurienne. Jacques Derrida a montré que la science du langage a été, dès ses premiers pas, étroitement solidaire d'un phonologisme et d'un logocentrisme hérités de la métaphysique occidentale, comme si l'écri-ture commençait et finissait avec la notation. Il faut, au contraire, considérer l'écriture comme accroissement des possibilités de manipulation du sens, comme exercice d'un autre mode de pensée. Dès lors, l'idée qu'il faut s'assurer si l'élève comprendrait ou non l'écrit si on le lui disait afin de décider s'il n'a pas ou a des difficultés de lecture s'inscrit simplement dans le courant dominant qui réduit l'enseignement de la lecture À l'intersection théorique entre l'oral et l'écrit. Mais, pour autant, cette idée ne peut même pas se concrétiser car, dans un dialogue, les mots sont accompagnés, voire précédés, de leur mode d'emploi (des intonations, un rythme, une prosodie, etc.) tandis qu'À l'écrit, c'est précisément la lecture qui permet de le trouver. Le correspondant oral d'une phrase écrite devrait, pour ne pas livrer un peu de son mode d'emploi, ressembler À ces voix de synthèse des premiers ordinateurs ou des robots de science-fiction, et encore ne dit-on rien ici du débit ou de l'absence de décision lexicale (comment prononcerait-on « est » ou « as » ?). La question de l'équivalence est, quant À elle, sans solution. Ce qui caractérise l'écriture, c'est justement kiakalékrikonvouassa et que l'équivalence s'établit au niveau du message dans sa globalité et non du code. L'équivalent oral de la Chartreuse de Parme, c'est au mieux une pièce de théâtre ou un film et on mesure ainsi qu'il n'y a pas véritablement d'équivalent d'un médium À l'autre. Une phrase banale (au hasard : « le mieux serait d'écrire les événements au jour le jour » n'a pas le même sens selon qu'elle est entendue dans le métro ou qu'elle est rencontrée comme l'incipit de La nausée de Sartre.

La question de la compréhension d'un texte écrit, donc de sa lecture, donc de l'apprentissage de la lecture n'est finalement abordée qu'exceptionnellement dans les recherches sur la lecture (Cf. Fayol) et il ne faut, dès lors, pas s'étonner que moins d'un quart des élèves de 6ème maîtrisent ces compétences remarquables qui permettent une navigation entre les lignes d'un texte. Il est important de se demander quels sont le déroulement et la stratégie des échanges oraux entre un adulte et un enfant qui seraient nécessaires, À propos du fonctionnement de pages illustrées d'un documentaire pour enfant, pour activer le même contenu et, À travers cette comparaison de deux langages, de mieux comprendre la spécificité de l'écrit. Ce volet de la recherche prendra donc appui sur la construction d'équivalences orales autour de textes pour mieux cerner en quoi consiste l'activité propre À la compréhension de l'écrit ou comment l'écriture (le tissage) contraint (contrôle) la réception du lecteur, comment sa lecture est escomptée par le texte, comment elle en fait déjA partie, comment elle y est inscrite. Ce travail, conduit dans les classes avec les élèves et les adultes, devrait trouver trois débouchés principaux :
a . aider les enseignants À entrer dans la littérature de jeunesse, en sachant eux mêmes la lire pour mieux l'utiliser comme le territoire où les enfants construisent leurs compétences de lecture.
b . rendre possible une autre description des compétences de lecture qui pose comme territoire non pas l'intersection avec l'oral mais la spécificité de l'écrit et cherche quelles capacités techniques s'exercent et donc sont nécessaires À l'exercice de cette lecture experte posée non comme un objectif mais comme une situation de départ. C'est dès le début, la lecture qui fait le lecteur. Cette préoccupation trouve À s'exercer particulièrement dans 2 directions :
- renouveler les modes de questionnement de la compréhension et donc d'évaluation de la lecture.
- approfondir les rencontres avec les textes dès le cycle 1 en essayant de mieux définir ce qu'il est convenu d'appeler les compétences remarquables À cet âge.
c . explorer un autre lien entre lecture et écriture en considérant que si le texte contraint la lecture, le résultat de toute lecture devrait spontanément déboucher sur de la réécriture, au sens d'un retour vers le texte pour y réagir, qu'il s'agisse de commentaires et de notes ou de transformations ou encore de production de ce qui est nécessairement un contre-texte et une mise en réseau, tant il est vrai qu'on n'écrit jamais qu'À partir d'autres écrits. La pédagogie de l'écriture souffre d'être abordée, elle aussi, par l'intersection de l'oral et de l'écrit et donc d'être davantage un apprentissage de la transcription que l'exercice d'un nouveau mode de pensée. La technique officiellement recommandée de la dictée À l'adulte en est aujourd'hui le meilleur exemple qui entérine l'idée que ce qui fait défaut au débutant, ce sont les outils d'une notation et non l'exercice d'un langage spécifique. Pourtant, de même qu'on apprend À parler dans l'oral et À partir de l'oral des autres, on écrit dans l'écrit et À partir de l'écriture des autres. Le processus d'apprentissage est, en ce sens, un processus de réécriture, c'est-À-dire d'intervention sur du déjA écrit, et non d'écriture car le débutant échoue lorsqu'il est d'abord contraint de procéder À cette accumulation primitive du matériau textuel À partir d'un autre langage. Il est sommé d'écrire dans une intersection qui ne correspond À aucun usage linguistique, dans une sorte d'interlangue (sabir ?) où se perdent également la raison phonologique et la raison graphique. Les avancées du groupe de recherche ont permis de poser plus clairement ce problème mais doivent être poursuivies pour donner corps À des modes d'intervention cohérente et, au-delA, À des outils d'observation et d'évaluation des pratiques d'écriture au cycle 2 et au cycle 3.

En bref, cette première direction de travail autour de la compréhension et de la production de l'écrit comme langage spécifique d'un mode de pensée conduit À proposer 2 protocoles de recherche :
1. Analyser la production langagière qui est nécessaire dans une situation de dialogue pour être « équivalente » À ce que propose un texte écrit. Par exemple, comment un adulte qui a lu le texte sur la girafe (cf. annexe 1) conduit une séquence avec un groupe d'enfants pour faire passer la même information en prenant appui sur la même illustration. On fera varier le type de texte écrit (informatif, documentaire, prescriptif, fiction, etc.) auquel l'échange oral prétend se substituer, le type d'adultes (parent, enseignant, etc.), et le groupe d'enfants (âge, expérience de l'écrit, hétérogénéité, etc.). Analyser la production écrite des mêmes enfants et le processus de production (cf. le rapport de la recherche sur la genèse du texte) lorsqu'À leur tour et À partir des échanges oraux précédents, ils ont À produire un texte destiné À remplir la fonction du texte initial. Cette situation a fondamentalement pour objet de nourrir la réflexion sur ce qu'il y À comprendre dans l'écrit et donc À mieux concevoir les entrées pédagogiques et les modes d'évaluation.
2. Approcher les processus de compréhension À travers l'observation des échanges au sein d'un petit groupe ayant À régler une situation-problème À propos d'un texte. La question À régler porte nécessairement sur une compétence remarquable qu'on fera varier d'une appréciation des intentions de l'auteur À une tentative de réécriture pour réagir au texte. Il s'agira dans chaque classe du dispositif au niveau du cycle 2 de suivre un groupe d'enfants tous les 20 jours afin de décrire l'évolution de l'horizon d'attente, des stratégies, des points d'appui dans le texte, de leur interprétation, etc. On est donc lA dans une dimension génétique et comparative selon les démarches pédagogiques, y compris en suivant des groupes dans des bonnes classes qui privilégient l'entrée par le grapho-phonologique.


Conditions et conséquences d'un apprentissage linguistique

Nous ne reprendrons pas la construction de l'hypothèse selon laquelle l'appropriation des usages de l'écrit (lecture et production de textes) peut se concevoir comme un apprentissage linguistique. Ce qui caractérise un apprentissage linguistique, c'est la voie qu'emprunte le sujet pour accéder au système linguistique À partir du message (objet fonctionnel de communication sociale), voie directe dans la mesure où la relation signifiant-signifié s'établit sans déplacement sur un autre système linguistique. Il ne s'agit pas de prétendre qu'un apprentissage linguistique ne se construit pas en relation avec d'autres langages, y compris en donnant un sens large À ce mot.

On sait, par exemple, l'importance des gestes, du regard de la mère (cf. Espéret), etc. dans l'apprentissage que le bébé fait de sa langue maternelle et, de manière générale, l'importance de tout ce qui donne du sens À la situation dans laquelle s'intègre le message. On sait, de même, l'utilité des informations données en langue maternelle À certains moments de l'apprentissage d'une langue étrangère, même en situation complète d'immersion. On redécouvre également la nécessité de la langue des signes pour que les sourds puissent rencontrer efficacement l'écrit. En bref, pour apprendre À lire, il semble fort utile de pouvoir échanger À propos du texte et À propos du système de la langue mais pas nécessairement dans la langue orale qui correspond À la langue écrite. Parler du texte, certes, mais c'est tout autre chose que d'ac-céder au sens du texte en le parlant. On quitte la logique d'un apprentissage linguistique, d'une part, lorsque l'identification successive de chaque mot est préalable À l'interaction sémantique avec l'ensemble du message écrit et, d'autre part, lorsque cette identification isolée du sens du mot écrit s'opère en passant du mot écrit au mot oral, c'est-À-dire lorsque l'élucidation du sens d'un mot ne se fait pas dans sa relation avec le message mais dans sa relation avec un système linguistique que n'utilise pas le message ; en bref, lorsque le mot écrit n'est pas rencontré dans le texte comme signifiant mais comme in-signifiant dont le traitement permettra d'accéder au signifiant oral.

L'argument le plus sérieux en faveur de la voie indirecte, c'est qu'elle offrirait le moyen d'une autonomie rapidement conquise puisque, une fois acquis le principe de la correspondance grapho-phonologique, toute forme écrite peut être lue, c'est-À-dire transformée en une forme orale qui donnera éventuellement accès À un signifié. Restera encore À faire fonctionner la voie orthographique (directe) pour devenir lecteur. C'est finalement un argument de nature plus économique que pédagogique ou psychologique. On peut lui objecter que ce transcodage n'a une chance d'aboutir À du signifié que si le mot est déjA connu À l'oral, ce qui est rapidement faux À partir du CE2 ; c'est alors principalement par les rencontres écrites et les textes que le vocabulaire se précise et s'enrichit. Si l'élève n'a pas développé, dès le début, les moyens de l'au-to-nomie linguistique dans l'écrit parce qu'on l'a détourné de cet apprentissage en misant sur une hétéronomie linguistique, l'écrit cesse d'être utilisable dès lors que son champ dépasse celui de l'oral, ce qui est pourtant la seule justification de son existence et des efforts individuels et collectifs pour son apprentissage. Si la vraie autonomie est de se passer du déchiffrement, sans doute vaut-il mieux se mettre dans cette situation dès le début et ne pas emprunter des voies hétéronomes provisoirement simples mais rapidement impraticables.

Si l'apprentissage de la lecture se conduit comme un apprentissage linguistique, on devrait alors pouvoir observer les comportements métalinguistiques de l'apprenant et notamment l'é-mer--gence d'une conscience graphique qui serait À l'écrit l'équivalent de la conscience phonologique À l'oral. L'apprenti lecteur rencontre, en effet, un système linguistique nouveau et, À travers cette rencontre, il développe une compétence linguistique qui va transformer son rapport aux systèmes linguistiques qu'il pratique déjA. À noter, au risque de lasser, que si l'entrée dans l'écrit se fait par l'intersection avec l'oral, l'écrit n'enrichit le rapport général À la langue que d'un système de notation. Nous n'avons pas réussi jusqu'ici À prendre suffisamment en compte cette dimension et À évaluer le comportement linguistique des élèves de notre cohorte. C'est pourquoi nous nous proposons d'y retravailler, ce qui explique le vague et le flou que les rapporteurs ont signalés, notamment Marcel Crahay même si la question que nous nous posons est précise : en quoi la rencontre de l'écrit en tant que système linguistique non subordonné À l'oral crée une expérience linguistique nouvelle qui va modifier radicalement la conscience (métalinguistique en intégrant une conscience graphique qui ne saurait se réduire À être l'écho de la conscience phonologique ? Cette hypothèse s'inscrit tout À fait dans la poursuite des recherches de Vygotski sur l'ouverture développementale qu'offre l'apprentissage de l'écrit, non seulement au niveau cognitif et affectif mais aussi au niveau linguistique. En dehors de la description des stratégies métalinguistiques À l'œuvre dans les activités de lecture, il nous semble important d'observer les modes de résolution de problèmes linguistiques que peut rencontrer l'en-fant lorsqu'il est confronté À des écrits dans une langue étrangère dont il ne connaît pas l'oral.

En bref, cette seconde direction de travail fait l'hypothèse que l'apprentissage de la lecture requiert, développe et transforme un comportement linguistique qui témoigne d'une conscience linguistique observable dans son champ d'application particulier sur l'écrit (conscience graphique), dans son rapport général À la langue (conscience syntaxique, morphologique, etc.), dans l'approche d'une autre langue. La description de l'évolution de cette conscience linguistique se fera À travers une observation longitudinale des comportements métalinguistiques À l'œuvre dans la lecture et ce par un suivi des groupes dans la situation-problème précédemment évoquée mais étudié ici dans ce qui concerne l'emploi des mots du métier de lecteur, de familier des textes et de leur écriture

2) Expérimenter des démarches d'appropriation et de formation pédagogiques.

À . Le groupe est constitué en majorité d'enseignants qui travaillent sur ce sujet depuis 7 ou 8 ans et d'une minorité qui l'a rejoint en 1994. Tous ont pour caractéristique d'avoir construit collectivement leurs pratiques au fur et À mesure qu'évoluaient la problématique de recherche et sa théorisation. Les résultats de ce travail de laboratoire sont, on l'a vu, importants mais la question demeure entière des modalités de leur transfert total ou partiel dans des classes qui n'auraient pas cette relation constitutive avec l'INRP. Comme le fait observer M. Crahay, « les plus beaux dispositifs pédagogiques peuvent fort bien s'avérer difficilement généralisables, soit parce qu'ils comportent une part de pratiques qui restent mal explicitées, soit parce que les besoins en formation des maîtres ont été sous-évalués, soit pour d'autres raisons encore parmi lesquelles les pratiques usuelles ne constituent pas l'obstacle le plus commode À enjamber. » L'expérimentation de ce transfert pourrait s'envisager sous deux aspects :
- une sorte de parrainage et de suivi de 2 ou 3 nouvelles classes par chaque membre de l'actuelle équipe aboutissant À un réseau de seconde génération qui constituerait alors une sorte de population banale d'enseignants travaillant sans investissement particulier sur la voie directe et d'élèves apprenant À lire dans ces conditions. C'est sur ce réseau retrouvant les caractéristiques normales de fonctionnement des autres écoles que pourront être conduites des comparaisons de cohortes avec l'enseignement habituel de la voie indirecte.
- la mise en forme de séquences complètes, conduites autour d'un texte, et dont le développement représente le travail d'une dizaine de jours dans les classes de cycle 2. Chaque séquence comprendrait une leçon sur la lecture du texte, la théorisation qui permet de se déplacer du message vers le code, la systématisation et les exercices qui décontextualisent les acquis et permettent de les réinvestir, les activités d'écri-ture, de réécriture et de transformation À propos du texte, la mise en réseau de ce texte À la BCD avec les productions de la littérature jeunesse. À une époque où le ministère sollicite les éditeurs scolaires pour que paraissent des manuels d'ensei-gnement de la lecture, on pourrait imaginer que le rapprochement de l'INRP et du CNDP aboutisse À la production, par un travail d'équipe au sein du nouvel établissement, d'un matériel beaucoup plus large et interactif, accessible par internet et dynamisé par le soin des CDDP dans le contexte scolaire.

En bref, le soutien apporté À l'appropriation par de nouveaux enseignants de la démarche autour de la voie directe construite par la précédente cohorte d'enseignants-chercheurs doit servir de support À un protocole de recherche centré sur 2 préoccupations :
1. Appliquer sur des populations nouvelles d'élèves formés par des enseignants nouveaux les outils développés au cours des 2 précédentes recherches afin de mesurer dans des conditions plus proches de la généralisation les effets d'une pédagogie standard de la voie directe. La méthodologie et les outils d'ob-ser-vation sont présentés dans les précédents rapports mais un appel serait fait À des labo de psycho qui seraient intéressés par l'observation de ces élèves avec leurs propres outils.
2. Décrire les effets du processus d'accompagnement et de formation des enseignants
- d'une part À travers, pour chacun d'eux, 3 entretiens répartis sur l'année et portant sur leurs représentations de l'écrit, de son apprentissage et de son enseignement
- d'autre part, par l'observation au même moment du fonctionnement de leur classe À travers 2 outils développés dans les recherches précédentes : le déroulement d'une leçon de lecture et la répartition des activités sur un cycle de 10 jours (cf. le premier tome de la recherche sur le cycle 2)
- enfin, par l'observation de leurs élèves puisqu'ils seront pris dans les dispositifs précédents


B . Le travail avec les parents est d'autant plus nécessaire que le rapport À l'écrit est posé comme une pratique sociale et culturelle dont dépend alors, pour l'enfant, le développement de techniques spécifiques. Le souci de rentabiliser l'investissement devrait conduire À intervenir prioritairement dans les deux premières années de la scolarité, c'est-À-dire au cycle 1. Travailler avec les parents, c'est les confronter À cette lecture experte, les aider À la pratiquer en utilisant les albums ou les premiers romans de la littérature jeunesse afin que leurs habiletés croissantes dans ce domaine modifient leur regard sur l'activité de lecture dans laquelle leurs enfants vont s'engager. Autour des livres, les parents peuvent donc rencontrer ce qui entre en jeu dans la compréhension d'un texte écrit, l'expérimenter, y réfléchir pour rapporter ces découvertes aux expériences quotidiennes auxquelles ils sont confrontés. Nous en donnons ici les grandes lignes puisque ce travail avec les parents transpose ce qui est fait avec les enfants dans la continuité des 3 cycles, ce qui est une manière de le récapituler.
C . La matérialité d'un texte n'est pas sans influence sur la lecture : « La signification ou plutôt les significations, historiquement et socialement différenciées d'un texte, quel qu'il soit, ne peuvent être séparées des modalités matérielles qui le donnent À lire À ses lecteurs. » (Chartier, 1996) Il n'est pas indifférent de travailler sur un album selon que le texte est invariablement réparti À côté de l'image, en dessous ou À côté, ou selon que le texte est morcelé comme un éclat de sens (Cf. Le livre épuisé de Frédéric Clément, Ipomée) ou selon que le texte est incrusté dans l'image comme dans la plupart des albums des éditions du Rouergue ou selon, enfin, que les sources de sens sont multiples, positionnées dans la même page : texte principal, légendes, encarts, citations etc.
- La lecture suppose la rencontre de deux mondes : « le monde du lecteur et le monde des livres » (cf. Ricoeur) Chaque approche d'un texte ouvre des "fragments du monde" auxquels le lecteur se réfère en faisant correspondre ses propres expériences organisées en « savoir socialisé sur ce monde et ses croyances, ses opinions, ses émotions. » (Denhière et Baudet, 1992) La représentation du monde auquel réfère toute expérience est nettement évoquée dans des albums comme L'Afrique de Zygomar, Philippe Corentin (École des Loisirs) ou Sept souris dans le noir, Éd Young (Milan) mais peuvent être travaillées À partir de chaque livre dès qu'il est porteur d'un univers construit, dès que l'écriture a consisté À "mettre un monde debout". C'est le cas par exemple, dès la couverture, de Yacouba, Thierry Dedieu (Le Seuil) ou, dans la succession d'images très implicites, de Petit Bleu, Petit Jaune, Léo Lionni, (École des Loisirs).
- Lire consiste À traiter des données linguistiques reliées À des données extra-linguistiques. C'est À partir de cette représentation mentale que les marques linguistiques vont être traitées et se transformer en instructions capables de confirmer, détruire ou détourner la représentation initiale. On peut penser À des livres fantastiques comme L'épave du Zéphir de Chris Van Allsburgh (École des Loisirs) où la fin oblige À considérer autrement le début ou alors À des nouvelles comme celles contenues dans Histoires de la forêt profonde de Jean Joubert (École des Loisirs) ou Contes pour les enfants pas sages de Jacques Prévert (Gallimard) qui glissent progressivement d'un univers À l'autre.
- Lire consiste À traiter des éléments linguistiques mais aussi les relations qui les lient. Cela amène À choisir des livres dont les textes ne sont pas simplifiés pour faciliter le traitement de segments courts (phrases simples, paragraphes courts etc.) Certains livres comme L'arbre sans fin, Philippe Corentin (École des Loisirs) ou les contes traditionnels, d'autres comme Les derniers Géants, François Place (Casterman) offrent une écriture qui permet d'ef-fectuer des liaisons entre les diverses propositions.
- Lire consiste À passer d'une compréhension littérale À une compréhension sémantique. Au cours de la lecture, ce n'est pas le message intégral qui est conservé en mémoire mais sa trace affaiblie. Certains livres sont, involontairement sans doute, écrits sur ce principe ce qui peut expliquer leur accessibilité pour les lecteurs débutants. C'est le cas par exemple de Jojo la mâche, Olivier Douzou, (Éd. du Rouergue.) qui garde, de page en page, des traces des textes précédents.
- Les textes inscrivent la lecture dans leur écriture : marques typographiques (italique, capitalisation...), titres, sous-titres, etc. sont autant de manières de manipuler la réception. C'est net chez des auteurs comme Grégoire Solotareff (Loulou, École des Loisirs) ou chez Kveta Pacowska, Le Petit Roi des Fleurs (Pastel) mais aussi dans des magazines scientifiques comme La Fourmi Verte.
- On lit dans l'intertextualité. Même si la littérature jeunesse n'a pas encore vraiment intégré cette notion, faisant exister chaque livre dans une sorte d'immanence, certains auteurs écrivent dans une logique où les "livres s'appellent et se répondent". C'est le cas par exemple de Tony Ross et de ses parodies mais aussi d'Anthony Brown, par exemple, dans ses reprises du thème d'Alice au pays des merveilles.
- On lit d'autant mieux qu'on maîtrise l'univers des livres. Le travail régulier sur des livres, au niveau du signifié comme du signifiant, permet de maîtriser de mieux en mieux l'uni-vers de la production écrite ce qui va permettre de mieux choisir, de mieux comparer, mieux référer...
- Enfin, on lit quand "on a un marché sur lequel on peut parler des discours concernant les lectures." (Bourdieu, 1985) L'autre aspect important concernant ce travail régulier avec les parents c'est qu'ils entrent dans le discours sur... et non pas seulement dans la consommation de l'histoire du soir. Parler des livres c'est construire socialement le besoin de lire que l'école alors aura tout loisir de satisfaire.

Ainsi, cette démarche qui constitue le fil directeur du travail qu'il convient de faire avec tous les élèves dans les BCD, notamment ceux de cycles 1 et 2, est aussi celle sur la base de laquelle ce travail expérimental doit être conduit avec les parents.

En bref, ces actions de formation des parents, dès l'entrée de leur enfant au cycle 1 et en lien étroit avec les enseignants de maternelle, s'inscrivent dans la mise en œuvre de politique de lecture au niveau d'un quartier et fait l'hypothèse que le rapport À l'écrit est, pour l'enfant, facilité par la pratique sociale de son environnement mais, inversement, que l'école, en posant autrement le rapport À l'écrit des enfants, peut contribuer À faire évoluer les comportements personnels des parents. Le protocole de recherche consistera ici À décrire les pratiques de lecture et les représentations de l'écrit d'un échantillon de parents d'élèves À l'entrée de l'enfant en maternelle et des mêmes 3 ans après, selon qu'il y aura eu ou non un travail avec eux autour de la lecture de leur enfant.

Calendrier et lieux

Du fait de l'organisation de l'école en cycles, c'est au terme d'une période de 3 années que se situe l'échéance d'une nouvelle étape de recherche. Celle-ci démarrera donc en janvier 1998 pour s'achever en décembre 2000, avec remise du rapport final en juin de l'année suivante.
Les écoles maternelles et élémentaires concernées sont d'abord celles de l'actuel dispositif mais c'est au cours de l'année 97-98 que s'effectueront le parrainage de nouveaux terrains puis leur amalgame afin de constituer un ensemble sur lequel porteront les observations et les évaluations au cours de l'année scolaire 1999-2000. À cette date, les élèves de l'actuel dispositif termineront, pour les plus jeunes, une année de CE2, pour les plus âgés, une année de CM2 selon qu'ils sont aujourd'hui en GS, au CP ou au CE1. Pour les classes de Petite Section au CP, recrutées en septembre 97, leurs élèves se répartiront alors entre la GS et le CE2. Au total, l'évaluation portera sur un effectif compris entre 400 et 500 élèves. À


Yvanne Chenouf
Jean Foucambert