La revue de l'AFL

Les Actes de Lecture   n°61  mars 1998

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novembre 1997
3èmes Assises nationales de la Lecture
Quelles nouvelles chartes
pour les classes-lecture et les villes-lecture ?


Le compte-rendu sous forme de cahier des charges de la phase expérimentale des classes-lecture est paru en 1990 (1). Depuis, des centres-lecture ont vu le jour, avec des modes de fonctionnement adaptés à chaque situation et s'inspirant plus ou moins du modèle de Bessèges et de nombreuses classes-lecture «sur site» sont organisées qui s'efforcent de réunir toutes les fonctionnalités nécessaires à ce qu'on ne peut plus véritablement appeler une innovation. Les démarches des uns et des autres ont été décrites et évaluées, quelques centres ont participé à une recherche-action qui se termine, une partie du colloque et des ateliers du séminaire des 3èmes Assises Nationales de la Lecture dont nous rendons compte dans ce numéro, ont été consacrés à ce sujet... il est donc temps et possible de faire le point et de répondre à la question posée en intitulé de cet article.
C'est en mars 1989 qu'est parue la Charte des Villes-Lecture (2). Là aussi, il convient de mesurer la pertinence d'un projet datant de 8 ans, dont les propositions ne résultaient pas d'une expérimentation mais de l'analyse des difficultés observées et de la conviction que seule une stratégie locale cohérente était susceptible de les résoudre. L'idée a tout de suite rencontré intérêt et estime. Des mises en œuvre, ici ou là, plus difficiles et moins nombreuses qu'on aurait pu l'espérer, ont été ponctuées par la tenue de deux Assises, les premières permettant d'en clarifier les enjeux et de définir les voies possibles, les plus récentes d'examiner les avancées les plus probantes. Il est donc possible de tirer les enseignements de l'expérience acquise.

Les classes-lecture, bien qu'à l'origine calquées sur le modèle des classes transplantées, ne peuvent être assimilées à des stages intensifs de remédiation, susceptibles de supprimer en trois semaines (voire moins) des difficultés qu'une scolarité n'arrive bien souvent pas à résoudre. Même si des résultats immédiats de qualité sont obtenus, les classes-lecture sont des périodes de découverte, préparatoires à des transformations futures, initiatrices d'habitudes et de comportements. Ce sont des instances de formation.
Des enfants d'abord (initialement du cycle 3, maintenant de tous niveaux,) en leur offrant la possibilité de participer à des activités et de s'engager dans des actions permettant de connaître toutes les situations requérant l'utilisation de l'écrit sous toutes ses formes et dans toutes ses fonctions et à en intégrer tous les usages, qu'on en soit destinataire ou producteur.
Des accompagnateurs aussi, enseignants des classes en stage et co-éducateurs issus des communes d'origine des enfants qui, participant à l'élaboration et au déroulement des activités internes au groupe et à destination du milieu environnant, découvrent dans l'action éclairée par une information théorique, une réflexion collective et l'usage de techniques nouvelles, un exemple élaboré de pédagogie de la lecture et de politique de lecture qu'ils pourront poursuivre dans leurs classes, dans leurs quartiers, dans leurs communes.

Une formation de formateurs à l'occasion d'une formation directe, donc. C'est rappeler encore que les classes-lecture et les centres de classe-lecture sont des dispositifs liés à un autre projet, celui des villes-lecture. Or, de ce que nous pouvons connaître de l'organisation, des objectifs et du fonctionnement de la plupart des centres de lecture et des classes-lecture (de ceux et de celles, heureusement majoritaires, qui n'usurpent pas cette appellation) émergent deux impressions :

- la mise en œuvre de plus en plus maîtrisée « des instruments et des pratiques les plus aptes à favoriser des rapports à l'écrit fructueux » grâce à l'expérience qu'on en a et à une réflexion qui s'est organisée. Malgré une grande hétérogénéité des options et des pratiques des centres (2), les conditions nécessaires à la formation des enfants et, ce faisant, à la formation pédagogique des enseignants accompagnateurs sont assurément de mieux en mieux assurées.
- cet effort centré sur la «formation directe» a bien souvent pour conséquence l'abandon d'une partie des fonctionnalités de la classe-lecture à savoir tout ce qui a trait aux activités à destination du milieu proche. Les classes-lecture ont réduit leurs ambitions et leurs finalités sont uniquement pédagogico-scolaires. Elles sont devenues peu ou prou des stages intensifs de lecture et leurs liens avec les villes-lecture (la formation des futurs acteurs de politiques communales) sont de moins en moins présentes.

Les raisons de cette orientation manifestée dans les interventions et les débats sur ce sujet aux 3èmes Assises (4) sont évidemment multiples. Laccueil d'enfants très jeunes, du cycle 2 par exemple, qui réduit les possibilités d'ouverture sur le milieu, en est une. Mais la plupart sont liées au degré de réalisation et donc aux besoins des villes-lecture. Les collectivités locales (des communes essentiellement) qui financent totalement ou en partie les séjours des enfants en classes-lecture ne considèrent pas encore ces dernières comme une étape dans la mise en œuvre de leur politique de lecture. Elles ne sont pas parties prenantes dans les négociations sur les finalités et le contenu des séjours. C'est presque exclusivement à des enseignants qu'on doit l'initiative de créer des centres de lecture ou d'organiser des classes-lecture et ce qu'on y fait est donc du ressort de l'Éducation Nationale. Point de pratiques autres que celles entrées sur la classe et internes à l'institution qui les crée, les gère et les anime.

Ce constat sur les classes-lectures, révélateur de l'état d'avancement des politiques communales, n'est ni pessimiste, ni critique car l'organisation de classes-lecture, pour peu qu'on y soit attentif, peut être inductrice de partenariats et s'inscrire dans une stratégie locale dépassant le strict domaine de l'école et de la formation initiale. Mais, sans doute y faut-il du temps et de la volonté de la part de leurs initiateurs. Ce que disent par exemple les responsables du programme régional de classes-lecture en Haute-Normandie est particulièrement édifiant à cet égard (4). Pour eux, membres de l'Éducation nationale, l'implication qu'ils ont souhaitée de partenaires extérieurs dans la préparation de ce programme (le montage financier, le public destinataire, le contenu des stages, les intervenants, etc.) a été l'amorce d'une collaboration prometteuse. Elle a fait connaître au-delà du milieu proche de l'école l'existence et les objectifs d'un projet qui pouvait ne pas se limiter à une suite d'activités destinées aux enfants pendant le temps scolaire mais générer au contraire des situations et des productions susceptibles d'intéresser un large public et des partenaires nombreux. Elle a fait découvrir aux responsables des collectivités territoriales que les classes-lecture ne requièrent pas uniquement une participation matérielle et financière mais qu'elles pouvaient être un élément important, au sein d'un projet de zone ou d'un contrat de ville, de leur politique.

Quand les responsables de ce programme en Normandie parlent d'un cheminement nécessairement long, ils font état des mêmes obstacles que ceux évoqués dans les interventions aux 3èmes Assises à propos des villes-lecture de la Région PACA (3). Les problèmes de coût, d'abord et bien évidemment, et donc de risques de toute politique culturelle, mobilisant un grand nombre de partenaires et néanmoins peu «spectaculaire». Le fait aussi qu'une politique de lecture ne sollicite pas que les collectivités locales mais aussi les instances nationales (ministères, FAS, etc.) et qu'ainsi les problèmes de fiefs et d'étanchéités institutionnelles se trouvent multipliés. La réticence enfin des élus (leur «frilosité» est-il dit) à afficher d'une manière claire un projet de cette nature.

Ainsi se trouvent toujours liées les destinées des classes-lecture et des villes-lecture telles qu'elles ont été proposées dans les chartes originelles. Elles sont dépendantes, les unes et les autres, d'une volonté politique. Si les classes-lecture sont considérées comme des instruments au service des villes-lecture, elles s'efforceront de dépasser leurs objectifs actuels, concerneront d'autres publics, feront appel à d'autres acteurs. Le cahier des charges rédigé à l'issue de leur expérimentation qui stipulait qu' « une classe-lecture implique surtout, en amont et en aval du stage proprement dit, une collectivité que la recherche de mesures globales, cohérentes et inter-institutionnelles préoccupe suffisamment pour engager une formation commune de ses acteurs » demeure réaliste et réalisable. Quant à la charte des villes-lecture, abstraction faite de la naïveté qu'exprime sa proposition d'une fédération des communes faisant fi de la couleur politique de leurs municipalités, elle demeure jusqu'à preuves du contraire, la base dont devra s'inspirer toute volonté d'augmenter le nombre de lecteurs en coordonnant toutes les forces locales disponibles.

Néanmoins, de la tenue des 3èmes Assises ressort la confirmation que le projet de ville-lecture représente une rupture singulière avec la logique habituellement en œuvre dans toutes les actions en faveur de la lecture. Et c'est bien cela qu'avaient présent à l'esprit les auteurs de la Charte en préconisant une utopique fédération des villes-lecture afin qu'elles puissent se doter de moyens communs (sous la forme de centres départementaux et d'instituts régionaux) de concertation, de formation et de recherche.

Une politique commune n'est pas la somme des politiques spécifiques et des actions particulières des institutions susceptibles d'y participer, plus habituées à se côtoyer qu'à travailler ensemble dans le cadre d'un projet d'innovation sociale à redéfinir en permanence à la lumière des transformations qu'il opère. Principe d'incertitude et modalités de la recherche-action de type stratégique (5)... objectifs transversaux... réajustements... primauté de la démarche... besoins instrumentaux et techniques imprévisibles et professionnalismes nouveaux... difficulté d'évaluer à l'aune des critères habituels une transformation des représentations et des usages d'un public hétérogène... Cette énumération montre que les politiques des villes-lecture sont à inventer. Elles comportent une part de risques et dérogent aux exigences des élus et aux principes de fonctionnement des institutions de qui pourtant tout dépend.

Les personnes réunies à Artigues ont fait un certain nombre de propositions destinées aux freins actuellement constatés dont certaines visent à sensibiliser et à informer - et sans doute former - les élus et les responsables institutionnels (diffusion d'un argumentaire, présentation des effets positis d'actions "exemplaires", instance de concertation, etc.) et d'autres à apporter les réponses aux besoins apparus (en matière d'évaluation, notamment)... Aucune de ces peopositions n'invalide celles des chartes originelles, aucune ne remet en cause le principe et les modalités de ce qui les avait fait naître : l'impérieuse nécessité de politiques locales de lecture, globales et concertées et la non moins impérieuse nécessité que tout le monde en soit convaincu.



notes
(1) Les centres de classes-lecture. Le cahier des charges. A.L. n°32, déc.90, pp. 103 à 115 et A.L. n°53, mars 96, p .137
(2) Vers une charte des villes-lecture. Jean Foucambert. A.L. n°25, mars 89, p.14 et Annexe 3 des Actes des 2èmes Assises Nationales de la lecture . A.L. n°53, mars 96, p.133.
(3) Les villes-lectures. Avancées et résistances. Suzy Garnier. p. de ce numéro.
(4) Un programme régional de classes-lecture. A.L. n°59, septembre 97, p.70,
(6) La lecture en vacances. J.-Pierre Bénichou p.87 de ce numéro.
(7) La recherche-action de type stratégique. M.-Hélène Verspieren p.73 de ce numéro.
Michel Violet